Interférence Artificière

J’ai déplacé le brouillon ci-dessous après avoir finalisé – ahem – ce texte un peu fastidieux.

brouillon

C’est un gros brouillon fait de morceaux épars qui viennent d’idées non-encore résolues.

Il est des expériences dont on ne parle pas, qui, comme des rêves, sont tellement étranges qu’on ne peut leur donner sens sans faire s’effondrer les fondations mêmes de la réalité. Si tu ne me crois pas, en voici une qui m’est arrivée hier. J’étais assis à ma table de travail devant l’écran sous la lumière vive de la lucarne au-dessus de moi. Une abeille s’est mise à virevolter devant moi, tout près de mon visage. Presqu’immédiatement je cessai de taper sur le clavier. Je dus ajuster mon regard afin de la voir nette, abandonnant au flou ce qui m’occupait jusqu’alors. J’observai quelques secondes sa danse ininterrompue. Je me levai doucement et montai sur l’escabeau pour lui ouvrir la lucarne. Je redescendis aussitôt et me rassis pour ne pas perdre le fil de ma pensée. L’abeille, reconnaissante, fit quelques tours de moi avant de s’envoler vers l’azur.

Bien sûr, il est exagéré de prétendre que l’abeille fut « reconnaissante » : c’est là mon interprétation et un physicien pourrait sans doute trouver une explication rationnelle liée au vent, au vortex créé par le courant d’air du à l’ouverture de la lucarne et au mouvement de mon corps, entre autres facteurs, entre autres causes.

Bien sûr, il est exagéré de dire que l’abeille s’envola vers « l’azur », car la couleur du ciel nous vient de la relation fort humaine entre le voyage des photons et la danse qu’ils engagent avec nos rétines. Et quand bien même les photons ne voyageraient pas ni ne danseraient, nous serions bien embêtéz pa chercher une cause à cette virevolte : n’est-ce pas là un message à la mode des abeilles, indiquant leurs passages et leurs déplacements ?

« Regarde-moi, je me place devant toi et je sais que tu me verras. Toi dont le jardin est rempli de fleurs tandis que celui de tes voisins reste infertile, ne donnant qu’un ras gazon incapable même de retenir l’évaporation. Je te vois et reconnais en toi an interlocutaire. Reconnais-moi, messagère des fleurs, accoucheuse des plantes, ici et maintenant prisonnière de la verrière immense de ta ruche : ouvre-moi le chemin de la lumière pour que le vent me porte à nouveau, lui qui s’est tu sous ton toit. »

Imaginaire et langage savent nous entraîner dans l’élan du merveilleux. Ce que ne savent pas faire ces chemins statistiques qui rasent les mottes et goudronnent tout pour ne laisser que l’absence des traces d’une fécondité réduite à des ersatz insipides.

En fait, c’est moi qui ne comprends pas : plus j’essaie et moins je comprends. Je me sens totalement idiotx. Les mots jouent contre moi. Je suis défini par cet extérieur oppressant qui ne veut de moi que des mensurations.

Si tu marches sur la tête, tu vois le monde à l’envers. Enfin, c’est ce qu’on dit. Moi, le monde, plus je le regarde, plus je vois des semelles qui flottent dans un air vicié de chaussettes made in Datang À ce niveau là, les têtes sont sous terre, on dirait des autruches qui montrent leur cul en croyant avoir disparues de la surface. Un petit clou sur les cravates et hop, les têtes restent coincées près du sol. Peut-être que ça leur ferait du bien de respirer les pots d’échappement comme ces pauvres gosses de bobos dans leurs poussettes tous terrains.

Je m’endors. Je rêve. Dans mon rêve, mes persécuteurs sont impuissants.

D’abord, tout le vocabulaire du monde.

J’affirme mon refus de cette identité : je ne suis pas ce sujet qu’on tente de m’imposer. Je refuse de l’être. Ce n’est ni la couleur de ma peau ni la longueur de mes cheveux qui disent qui je suis ; car je ne suis pas. Le regard d’autrui ne me définit pas. Je change mon apparence.

Je dois partager cette découverte, ce sentiment de plénitude face à cet ennemi défait, car inexistant. Lorsque j’explique avec enthousiasme ma trouvaille, on me rit au nez.

Je rejette ce vocabulaire, on se moque.

Et là, boum, les lignes bougent. C’est douloureux. Le crachat fait place au crachin, ma différence fait peur.

J’insiste. J’explore mes rêves. Cela devient de plus en plus facile. Expirer, inspirer. Régulièrement. Passer le cercle de lumière des pieds à la tête, comme un scanner. À chaque passage, les muscles se détendent un peu plus. Finalement, je sombre et je vole. Lorsque je me réveille je le sais : mon regard peut altérer la réalité.

J’explique le rejet, je retourne le vocabulaire : on m’insulte.

C’est de pire en pire, mais je me sens de mieux en mieux. Je ne suis que relation. On me frappe, mais je n’en souffre pas : je regarde ce corps maltraité qui n’est plus le mien mais le corps symbolique de celles et ceux qui luttent pour échapper à l’oppression. Je me relève. Ils m’abattent. Je me relève encore. Ils m’abattent encore. Je me relève toujours. Ils s’essoufflent et surtout, d’autres prennent ma place, me tendent la main.

Peut-être ai-je un peu trop appuyé mes gestes. En tout cas, les flics sont derrière moi et bientôt me ratrappent et me rouent de coups.

J’élimine le vocabulaire, je ne suis plus, je ne suis plus que relations. Point d’identité : ils s’affolent et deviennent violents.

Mais je n’ai pas peur. J’ai déjà vécu cette scène mille fois, en rêve. Je me tiens droit. Je sens la connexion au centre de la Terre, je la sens tourner et mon corps se déploie dans l’axe de la tangeante ; la gravité n’a plus d’effet sur moi. Les regards de mes adversaires s’assombrissent, leurs sourires se délitent. Je suis là droit devant, bien campé·e. Cela ne m’effrait plus. La peur a changé de camp.

Ma seule présence devient lumière aveuglante pour l’ennemi défait.

Je n’existe plus : le peuple se tient debout, les ancêtres s’expriment par la force de mon regard. Rien n’est plus que la déferlante.

À Quel moment est-ce qu’on se rend compte que les commentaires précédents ont été générés pas une « intelligence artificielle » ? À quel moment on se dit que notre propre commentaire, humain, trop humain, offrire une réelle valeur ajoutée à la quantité de non-sens accumulé pour faire semblant ? Semblant d’une activité humaine. La version numérique de brasser du vent : faire interagir des programmes entre eux, au cas où un humain viendrait y fourrer sa nonchalance. Tout ce qui n’est pas écrit n’existe pas. Donc tout ce qui n’est pas lu n’est pas là. C’est la logique de l’IA, qui ne connaît que ce qu’elle a déjà lu.

En fait, ce que nous nommons « soin radical » étendu au-delà de la notion féministe du care, ce n’est rien d’autre que le triptyque anarchiste de l’entraide, l’audace et la solidarité. L’entraide, c’est le soin porté à l’autre qui engage la réciprocité ; l’audace, c’est le courage de résister ici et maintenant qui ouvre sur l’action directe ; la solidarité exprime l’égalité radicale, prémisse d’une démocratie radicale, intersectionnelle.

C’est un rêve qui commence dès que tu ouvres les yeux. Parfois ton corps ne décolle pas et tu restes coincéx dans une lueur cinglante et tu refermes les yeux sans commettre l’erreur de devenir un ange.