Josep Rafanell i Orra — En finir avec le capitalisme thérapeutique

Cette réédition de 2022 par nos amiz de la libraire Météores qui accueille nos livres rue Blaes à Bruxelles, onze ans après la première, n’a rien perdu de son actualité. On y retrouve des références chères : Jacques Rancière et ses brillants élèves, Bernard Aspe et Muriel Combes, en bonne compagnie…

En voici quelques extraits (concentrés vers la fin car cette partie nous est plus proche comme elle semble tirer un trait entre Prendre Soin et Par Surprise…) :

Le déjà là révolutionnaire, comme un sentiment d’étrangeté dans le monde ordinaire du gouvernement, est ce qui peut être partagé comme une volonté de rassemblement politique pour en finir avec les divisions produites par l’État. Il n’y a pas à renoncer à la différence ni aux exigences d’une réalité à laquelle nous appartenons. Il y a le constat à faire que tout n’est pas politique, mais que la politique peut advenir partout.

Le soi-disant effacement de « l’État de droit » n’est que l’inflation d’un nouveau droit, celui d’étendre la notion d’illégalisme contre tout ce qui s’oppose à l’universalisation de la circulation capitaliste dans l’espace mondialisé des divisions.

La politique est une reconstruction des possibilités d’existence de la différence sur le fondement de la décision.

Prendre soin des lieux où peut advenir la narration d’autres histoires, prétendre avec elles au « prestige de rattacher des générations entre elles » est une manière de veiller aux histoires des vaincus pour actualiser des nouvelles politiques révolutionnaires au plus près du réel.

… le soin s’affirme dans les institutions comme un geste d’insurrection, une nouvelle construction, s’il part de la communauté.

C’est une question de confiance politique portée aux situations ordinaires.

Le réel fuit les institutions. Nous devons diagnostiquer ses lignes de fuite et les rendre opérationnelles contre les dispositifs de contrôle que sont les dispositifs de production de la santé et leur pouvoir de faire vivre les individus dans le système.

… la thérapeutique, elle, explore les configurations sensibles et cognitives des appartenances, les différences dans les divisions, les différences contre la division, les modus operandi du partage.

Les lieux de l’hétérotopie, ce sont les lieux où l’on prend soin des relations qui soignent parce qu’elles permettent de tenir, promesse incertaine, l’actualisation de l’hétérogène : depuis les communautés affinitaires issues d’un processus de désidentification aux catégories de la police, jusqu’aux communautés en relation avec des dieux, des dieux dont le statut de prolétariens est la raison même de leur potentialité politique ; communautés en résonance pour peu que le soin soit indissociable de la politique. Il y a aussi l’évidence qu’une politique révolutionnaire gagnerait à être posée à partir du soin comme une politique de l’ordinaire.

… la lutte contre le capitalisme et l’État a pu s’instaurer comme la nécessité de restaurer des liens dans des lieux réels qui réinventent la transmission.

La capacité collective à fabriquer des hétérotopies est autant une expérience de combat que de confiance : exercice technique car fabrique du réel, exercice éthique, puisque choix du réel, exercice politique car combat pour le réel. Tout ce qui fait que la thérapeutique peut devenir une insurrection dans les espaces de désolation du contrôle.