Programme Table des matières maquette et biblio

Après le départ de @lynda, nous avons travaillé un peu avec @natacha pour arriver à l’idée d’une série de « cartes postales » qui, grâce au format A5 plutôt que le premier envisagé (A6) offre plus d’espace graphique.

En voici un essai : il s’agit de mélanger différents textes et des images de @s.a.y.r.o.e.

Collision

par Sophie Rottiers

texte à dépecer - me sachant non sachante

Le confinement remet en question nos repères et par là (certains de) nos codes sociaux.
De nouvelles géographies se dessinent à partir de l’épicentre du “chez soi”.
Le « voisinage » gagne en relief, en noms, en individualités.

Au coin de ma rue , une collision humaine m’a propulsée dans un autre monde. 40 ans que s’y croisent des hooligans bruxellois. 15 ans que je les salue « familièrement » dans la plus complète ignorance de leur identité. Le grand enfermement printanier a suspendu leurs occupations. Ils se sont retrouvés à passer ensemble le temps, assis au soleil sur le pas d’une porte. À se croiser de plus près, on se déclique une cannette. Puis une autre. Survient une mise à nu. Surgissent des pans de vie. Trajectoires de footeux nés dans un quartier populaire, qui se sont construit au fil de collisions avec les clubs rivaux, les excès, les forces d’un certain ordre. Une contre-société apolitique, cimentée par la passion pour le ballon et la bagarre. D’un côté déclassement, stigmatisation et galère. De l’autre, fraternité, prise de risque, courage, éthique même. Passé la porte, un taudis jouxte les maisons proprettes. Brutal face-à-face. Brutal questionnement. Qui est “chez soi” dans cette rue ? Où est la violence ? « Hool » : insulte surmédiatisée ou titre de noblesse, esprit rebelle et hors-la-loi ?

Aujourd’hui le spectacle est terminé : montée de l’insécurité et tolérance zéro obligent, les pouvoirs publics stigmatisent et répriment toute transgression (de préférence visible) de l’ordre établi. Il s’agit de juguler les affrontements, d’amputer les membres gangrenés, d’opposer à la déviance fanatique le sport aux vertus socialement lénifiantes. Les hooligans sont aujourd’hui interdits des stades bunkérisés, un casier judiciaire en épée de Damoclès.

Demeure une fierté ! Celle d’avoir appartenu à une société peut-être mythifiée, mais qui représente le seul collectif qui fasse sens (hormis la famille) à leurs yeux : une communauté sur laquelle ils peuvent toujours compter. Ces gars ont grandi et vieillissent ensemble. Ils prennent soin les uns des autres. Leurs corps fracassés par le stade et la vie, plus ou moins réparés, se ressoudent quand l’un d’eux tombe : ils se tiennent par les épaules et par les couilles, se dépannent de quelques euros ou d’un boulot, s’accompagnent en terrasse ou en salles d’attente. Ces gars se prennent des cuites et des nouvelles. Ces gars téléphonent à leur maman tous les matins.

1111 km au Sud-Est de ma rue, autre télescopage. « Nanny the hooligan » avait 17 ans à la veille des Années de Fer, quand le foot était encore le foot, avant le foot business. Elle s’échappait de sa banlieue londonienne pour suivre les matches d’un club local. Camaraderie, chants l’ont attirée loin de la violence (elle déteste ça) de l’argent facile, du banditisme, de la pauvreté, des visites à la prison. Elle a connu l’ultraviolence des hooligans infiltrés par les néonazis du British mouvement. Elle a donné des coups de boule pour se défendre. Au bout de deux ans, le tour est fait : « Impossible de discuter avec des mecs qui gueulent ». Elle prend la mer. Restent les deux piliers de son amour pour le foot : rébellion et communauté. Avec le confinement, elle s’inquiète : « plus de matchs, cela fait un gros trou dans la vie. »

Sacrés clashes pour se découdre les paupières : requestionner violence, ordre établi, collectif. PAR/QUI/CONTRE QUI ?