Aux corps vivants

« Prendre Soin

Au-delà de l’« urgence sanitaire » une lame de fond sourd, dévastatrice dont les premiers effets sont passés des maux aux mots, exclusifs, inquiétants, et dont l’onde de choc persistera pour les années à venir, comme pour inaugurer une guerre universelle qui n’aura pas lieu – qui n’aura pas lieu d’être puisque les mots d’ordre sont là : nous y sommes.

L’ennemi polarisé du Bloc de l’Est fut évincé, submergé par une vague néo-libérale triomphalement mortifière, balayé par un ennemi hors d’État ; au crépuscule des terroristes, déjà, leur remplaçant désigné restera, lui, invisible, statistique, à rideaux tirés, derrière des écrans vidés de leurs sens et pourtant profitables, dans des rues abandonnées à la répression la plus arbitraire, au sein d’un système de santé moribond, aux frais et au bénéfice d’une « humanité » sans avenir.

Nom de code COVID-19 – son année de recensement et non sa génération – a déjà transformé le monde : effacés les 150 ans de luttes sociales et de droit du travail. Entre autres. Une résurgence mono-réalithique veut nous imposer un silence qui, passée la sidération, derrière les masques, pourtant interdits le jour d’avant tant ils gênent les dispositifs de surveillance, ne cesse de gronder comme l’écho d’une clameur planétaire qui s’était soudain tue : contre le capitalisme, le sexisme, le racisme, le paternalisme, l’asymétrie croissante – seule croissance véritable – entre ce qui sépare les quelques riches des trop nombreuses classes laborieuses, exploitées, exclues, sacrifiées…

Deleuze avait bien flairé les sociétés de contrôle, mais n’avait pas précisé que leurs dispositifs d’atomisation sociale viendraient se surajouter aux dispositifs d’enfermement des sociétés disciplinaires : comme pour la « transition énergétique », nous rappelle J.B. Fressoz, ce régime brutal renchérit sur les précédents, sans pour autant les remplacer.

Aux historiens de nous dire ce qui, sous le tapis, aura été masqué par des « impératifs ». Tel l’interdiction des rituels funéraires ; un « État d’urgence sanitaire » et son paternalisme disciplinaire aveugle et d’une violence inouïe en « démocratie » auront eu raison des droits et des libertés, du partage du sensible et de la raison même.

Pourtant, si les organes de la propagande culpabilisante se gargarisaient de la normalisation statistique des vivants incarcérés et de leurs morts confisqués, les révoltes invisibilisées ont permis de glisser hors les grilles de lecture capitaliste : pour celles et ceux qui n’ont pas de « chez soi », ou pour qui il s’agit d’un lieu dangereux, de nombreuses initiatives populaires, appuyées sur des réseaux de solidarité existants, ont pu se déployer en dépit de et contre l’injonction capitale du « restez chez vous ».

Aux corps vivants, éprouvés dans la douleur des luttes contre l’arbitraire des États coupables de leur déni, alors que respirer devient un acte de résistance, il s’agit d’affirmer :

non, nous ne sommes pas en guerre !
Résistez chez vous !

» L’inspace ou le retournement des visibilités