In·TR\o/ANS·duction
« Nous entendons par transduction une opération physique, biologique, mentale, sociale, par laquelle une activité se propage de proche en proche à l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine opérée de place en place : chaque région de structure constituée sert à la région suivante de principe et de modèle, d’amorce de constitution, si bien qu’une modification s’étend progressivement en même temps que cette opération structurante. »
— Gilbert Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, p.32
Cela répond dans le domaine social à la notion de stigmergie (issue également de la biologie) portée par Heather Marsh[1] : la stigmergie se traduit par le mode d’action autonome qui résulte d’actes de rebellion (ou d’amour) qui laissent des traces dont peuvent s’inspirer des éléments subversifs sans recourir à une quelconque coordination. Dans le cas de la transduction comme dans celui de la stigmergie, les individuz prenant part à l’action s’en trouvent transformæs : il y a un avant et un après, un état préalable et un état consécutif à l’acte, dont la part trans-individuelle, sociale, se reflète dans le renforcement du collectif. Avant THX, il y avait une volonté de synchroniser les corps, les savoirs, et rassembler les réseaux ; après, il y a une ébauche de ce qui peut faire corps dans la résistance au pouvoir hégémonique mortifère.
Pour ce troisième opus, le Collectif Archipel met les voiles et brandit l’étendard THX pour mieux le brûler : non, ici pas d’essai ; que des nouvelles. Oui, des nouvelles de fiction spéculative. Mais pas n’importe quelle fiction ! De la fiction qui tire sa force et son élan de nos expériences, notre vivre ensemble, nos aspirations les plus belles et nos tentatives les mieux avortées. Pour que chacan s’engouffre dans des histoires qui n’ont pas de happy end mais qui non plus ne plongent pas dans la facilité d’une dystopie où l’asymétrie de pouvoir réduit la résistance à néant. Car l’hégémonie est toujours pleine de failles et que la résistance gronde dans ses interstices.
Nous sommes issuz des identités non-binaires, non-alignées et non-linéaires, des espaces où l’on pratique le vivre ensemble respectueux et l’expérimentation, squats et (bio-)hacklabs, des technologies décentralisées, bref : des épines dans le pied du système. Nous en profitons pour déployer nos imaginaires et nous mettons ensemble pour proposer des compossibles. Réuniz pour pænser ensemble ces récits, nous en avons imaginé ensemble les sujets et les rebondissements puis chacan a pris en charge selon son gré l’un ou l’autre sujet. Nous sommes en discussion ouverte sur chaque histoire que nous portons collectivement. Ces nouvelles sont porteuses de nos univers, de dissidences et de rêves… Parmi elleux : le genre ; nous avons exploré de nombreuses manières d’écrire hors de la contrainte du « masculin l’emporte ».
C’est pour cela qu’on sort de Garde à Vue plein·e·s d’espoirs et d’idées d’actions, plus remonté·e·s que jamais — fallait pas nous chécher. Du fond des mines de cobalt et de cuivre à Kolwezi ou Lubumbashi, enfants pauvres de l’industrie mutil-milliardaire de l’omni-électro-présence de l’ordiphonie mobile, les creuseurs artisanaux mettent à nu leurs chaînes néocoloniales qui s’étendent depuis l’Empire du Milieu jusqu’au·x Nouveau·x Monde·s. Puis que, du cœur du Vieux Monde, s’inspire une divergence radicale, antagoniste et contradictoire, parmi les No Borders qui se mettent en marche pour suivre à contre-courant le Grand Déplacement. On traverse la mer qui nous lie au Sud, boussole de notre histoire humaine échouée dans le confort amer d’un Nord qui se veut et se voit global.
Il est temps d’une séance collective d’introspection pour que nos récits se réalisent. Hommage à Lë Agary, dont le premier roman Il faudra faire avec nous a nourri et inspiré nos (ex)actions. Réaliser nos récits, c’est le propos de cette farce marseillaise qui réconcilie les partisanz de la propagande par l’effet et çauz de l’action directe : car pourquoi pas les deux ? Ainsi, le récit d’une traînée de poudre qui répand la colère dans la joie et, appuyé sur les ruines de sa suffisance, imprime un regard noir et critique d’une furibonde société patriarcale aux abois. Et puisqu’elle renâcle, les manifestes pour des sciences dégen(é)rées enfoncent le couteau dans la plaie par une exploration des modes d’existence autres en reliance et à plusieurEs. Pour qu’enfin se déroule l’histoire des tribus de la spirale telle qu’elle n’est pas encore advenue, une autre caravane nomade se déplacera du passé réifié d’un teknival fondateur au futur imparfait d’une transe électrique. Nous avons fait le deuil d’un passé révolu à défaut d’avoir été révolutionn·é·aire : il n’y a plus aucun retour possible – le récit final offre un tournant inespéré à la désertion, comme une fonte de neige au cœur même du milieu, car :
« L’utopie n’existe nulle part, sauf là où l’on est. »[2]
Voir la série Binding Chaos https://georgiebc.wordpress.com ↩︎
Itsuo Tsuda, cité par Manon Soavi dans Le maître anarchiste Itsuo Tsuda : savoir vivre l’utopie (ISBN: 978-2-38357012-7) ↩︎