Ursula K. Le Guin, dans Conduire sa barque, offre des exercices d’écriture que j’aurais aimé partager avec vous. Je vais les utiliser ici pour me faciliter la tâche d’écriture, notamment pour décoincer le Récit 3 Aucun retour possible.
Source des exercices : isbn:9782372330442
Exercice 1 – Sonorité
Le silence de la montagne n’est point silencieux – sauf exception, comme cet endroit si serein au sommet d’une crête qu’on traverse sans se soucier d’autre chose que de l’absence d’écho. Flanqué entre la pente douce arborée qui fait face à une falaise qui bloque tout son – un silence surprenant où nul oiseau chante, nulle cloche sonne, aucun animal : souris, chat, brebis, aigle, et caetera, n’ose s’aventurer en ne se taisant pas. Sinon, ce sont les suintements, chuintements, chuchotements, craquements de branches et bruissements de feuilles (un lézard sans doute dérangé par nos pas), échos des vallées, caquètements et cliquetis stridents qui forment le silence de la montagne. Au détour d’un chemin : chut ! Une source souterraine susurre au sureau satisfait qu’une eau pure opulente jaillit proche. Dans ses racines circulent le liquide aqueux qui fait tout, ne fait que, l’abreuver de son sens. Courageux scarabée pousse pousse sa boule sur les chemins pentus entre les cailloux creux, creusés par la pluie qui, absente en ce moment de chaleur estivale rêve de ce silence, silence de la montagne. Les criquets crissent et couvrent l’ensemble des sillons d’un disque de vinyle qu’aurait les oreillons. Cric ! Crac ! Grzzz ! Kssss ! Kssss ! Kssss : tous les bruits forestiers font fi du silence exceptionnel de l’endroit que j’ai dit. Silence le silence s’élance sur les pentes pantelantes et pointues de crêtes et de froufrous du vent, des bourdons des bourdons, des plumes des vautours. Silence harmonieux subtil, sans bruit : que des souffles et des plis. Kru ! Kru ! Kri ! Kri !
1.b. Sentiment
Quelle joie ! Mon corps s’accroche à ce silence sûr, puis explose comme la source jaillit de ce coeur endormi que j’avais oublié – dont j’avais oublié – qu’il est si malléable et comme il flotte au vent : des larmes de joie juste à ce moment là, mon corps est un torrent aux vapeurs arc-en-ciel. Diffracte la lumière, joie pure de mon coeur éclaté par le calme inconnu de la montagne belle. Comment ai-je pu l’ignorer tant de temps ? Cette joie, cette montagne. Je fonds, je pluie. La colère assassine s’enfuit. Quelle joie ! Ce silence pourquoi ? Ce silence pour moi, me fait penser à toi dans nos ébats sylvestres qui se rappellent à moi seul·e, seul·e dans le silence qui n’en n’est pas. Qui ne sera qu’en bas.
Exercice 2 – Sans ponctuation
C’est arrivé soudainement comme une pluie d’orage personne n’y a pensé nous étions submergé·e·s des élans rien à faire courez ou peut-être pas impossible de savoir tout était innondé brûlé comment dire inquiétant peut-être mais sans doute pas pas encore c’est idiot aucun regard posé des cris comme des trains qui passent en sifflant les lumières changeantes grises irisées grouillantes comme la foule en cet instant crève crève cours cours presque sans souffle les cris sourds s’etouffent suivent sans discernement des chemins non tracés pistes aléatoires dans un juke box cassé blues sur fond de bris des tasses éclatées le feu les flammes fusaient mais que se passait-il tout le monde fuyait dans tous les sens alors comment savoir d’où venait la menace encore un bruit strident un souffle coupé une auréole de sang ou de sueur la fureur le cyclone aveugle et des cris des cris assourdissants des suffocations les regards troubles les larmes sur la langue salées on étouffait par terre sous une table contre un mur sortir sortir à l’air libre mais la porte ne voulait pas s’ouvrir c’est seulement en forçant s’efforçant d’ouvrir le bruit du verre brisée refermer la porte les éclats sur la peau dans la chair la chaleur la lumière l’affolement entre les dents serrées à s’en faire mal au crâne la peau qui brûle qui gratte les ongles s’y enfoncent et grattent mais elle part en lambeau encore des cris des larmes impossible à voir il n’y a plus que la lumière blanche et puis plus rien la nuit noire la tension retombe tout le monde s’arrête aucun bruit tout le monde à terre aucun bruit quelque morceau de verre tombe et se brise sans quoi le silence encore totalité puis rien plus rien tous atterré·e·s je ne suis plus que ma respiration et les brûlures du corps qui s’attardent et les yeux qui ne voient plus les lèvres sèches il n’y a plus rien que la douleur suprême.
Exercice 3 – Court et long
Récit en phrases de sept mots maximum.
Il me fallait choisir. Je sautillais. Mon corps semblait pataud. Il allait contre ma respiration. Mon regard se troublait. Je ne distinguais plus les visages. Comment choisir ? La danse frénétique ne s’arrêtait pas. Voir les couleurs. Distinguer les habits. Mon corps sautillait malgré moi. S’arrêter ? Jamais. Ce serait trop la honte. Garder le sourire. Danser. Les côtes m’étaient douloureuses. Ma gorge brûlait. Il fallait continuer. Sur un pied je m’arrêtai. Juste un instant mon regard se posa. Je soutins l’équilibre. Lentement il changeait. Cligner des yeux. De nouveau je voyais les couleurs. Je distinguais les visages. Un instant seulement passa. Avant que la danse me reprenne. À présent je læ voyais. Pourvu qu’iel ne bouge pas ! Je respirai enfin. En rythme je dansai. La joie me surprit de m’habiter. J’avançai vers iel. Je lui souris. Iel se leva et me rejoignit. Nous dansâmes ensemble. Iel avait répondu favorablement à mon appel. Le bonheur m’envahit.
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Récit en une phrase unique.
La cérémonie réclamait que je danse sans discontinuer pour séduire celleux qui feraient partie de ma Main ; je dansais donc, le regard d’abord troublé par ma difficulté à reprendre le souffle – mon ventre était gonflé – et la sueur commençait à perler alors que je ne savais plus distinguer ni visage ni habit et je me concentrai sur les couleurs avant de suspendre mon geste, je restai sur un pied, clignai des yeux pour en effacer les larmes et je læ vis, là, devant moi, j’inspirai un bon coup et, laissant mon corps reprendre son équilibre j’élançai tout mon être vers iel, en lui souriant : bientôt nous étions deux à danser en harmonie l’un·e avec l’autre.