Inspatiences au réel
L’inspace est à l’espace ce que l’eau est au corps.
De toutes les phrases ficelées dans l’inspace ou le retournement des visibilités, c’est celle-là, ci-dessus, qui a posé le plus grand trouble. On me disait : « cela devrait être le contraire : l’inspace est à l’espace ce que le corps est à l’eau. » L’insistance était telle que je fus moi-même en prise au trouble. Je dus faire un produit en croix pour vérifier si, effectivement, ma tête ne se serait pas emberlificotée.
La question serait donc de savoir qui de l’eau ou du corps s’inscrit dans l’espace et s’écrit dans l’inspace ; à la suspicion d’inspace correspond-elle une suspension d’espace ? Ou l’inspace sert-il d’excipient à l’espace insipide ?
Le corps — quel corps ? — est rempli d’eau, et l’eau abreuve le corps et arrose le corps : son cycle est indépendant de lui, mais lui non ; le corps dépend de l’eau — mais quel corps ? Le corps vivant, physique, humain, et même, oserai-je dire : le corps psychique, car je ne conçois pas d’esprit hors du corps, hors du vivant. C’est même là que se pose la question du corps — mais quel corps ? Le corps symbolique, lui-même semble issu des corps physique, biologique, psychique ; comment dès lors pourrait-il échapper à la nécessité de l’eau ?
On n’est donc pas, semble-t-il, dans le cas insoluble de l’œuf ou la poule — lequel vient avant l’autre ? — puisque sans eau point de corps — mais quel corps ? S’il est céleste ou dit inerte, dénué d’eau – soit un CRPS, alors oui, peut-être, pourrait-on considérer l’inspace par rapport à l’espace, l’espace-eau — un petit d’espace — et l’inspace-corps ; mais un corps qui n’est pas une enveloppe ! Le message est clair, à-moins d’être timbré. Aux corps-espaces point de crêpes : nous sommes né·e·s de l’eau, d’un rot, d’une rotation et, considérer nos corps hors de son doux berceau relève d’un détachement propre à la pensée de l’espace – sans i, without I ; c’est sans doute – avec o, dutekin – cette tentative d’échappée belle, de fuite en avant toute, de dérogation générale à l’insistance du corps d’être là, sans sommeil, à se considérer soi-même – avec o et i – en paire manance, une manigance de gueux révoltés contre-nature, contre-culture. Le rapport de force (i/e)space, id est (c’est-à-dire) une proto-relation d’absence d’extériorité ne peut se concevoir qu’au sens d’une intériorité capable de se penser externe-à-soi afin de s’oublier – avec o, i et e ; un jeu de l’oie pour sortir des cases et ne plus les concevoir que comme présence actualisée d’un passé révolu, d’un futur potentiel : la case comme marque d’une décharge ; un petit pas pour le vivant, un grand pas du tout.
Pire, et pour parfaire cet auto-portrait trait pour trait sans pétrifier pour autant toute présence (principal subjet de notre prétentieuse pratique – notre, ici, comme nôtre chapeauté d’autorité, qui nous appartient, hors répartition, hors départ, construit pour murer) et, balançant l’œuf ou la poule, saisir par l’interjection liquide dans les anfractuosités poreuses de la langue l’unité diverse des sens, décence sans avenir, venir est (presque) partir, (presque) repartir, (presque) répartir. Pourtant, si l’on saisit dans l’interstice la différence de l’inspace à l’eau, de l’espace au corps, on voit depuis l’intérieur comment l’extérieur peut être impensé et comment on ne peut le concevoir que comme un mythe, comme un corps étranger, insaisissable bien qu’il nous appartienne. L’incomplétude de la plénitude du corps s’évoque et s’évapore dans l’insistance de l’eau à faire corps, l’inspace d’un extant.
Sans cette patience respiratoire, onde calme du diaphragme en accord-danse, un pas sans savoir, un pas dans savoir, sautillement continu carressant les rivages, un pas science, un pas danse, concordance des temps, accordance détente, un souffle, un instinct, sans ce pouvoir imaginal, sans espoir d’un savoir englobant (merci Gödel), le réel m’échappe, ici et maintenant, à jamais et jamais je ne puis plus m’en échapper : l’inspace est à l’espace ce que l’eau est au corps.