Radio Pandémik

« Prendre Soin

La voix de Pétrolette vibrait sur les ondes FM avec une joie indomptable, à peine teintée d’angoisse, forte et volontaire, comme les cordes tendues au-dessus d’un gouffre pour assurer le passage d’un bord à l’autre d’un précipice réputé infranchissable. Tousse ensemble, comme devise, Pandémik comme objet, chacun·e débarquait à l’impromptu proposant sons, sujets, dans un flux tendu. Afin de relever le défi, de nous soigner au son, les interventions donnaient sans cesse la parole à celleux qui malgré les injonctions de se mettre à couvert, restaient vigilants et offraient leur présence solidaire à autrui dans la rue pour n’abandonner personne, garder les yeux grand ouverts face à une menace dont l’invisibilité ne devait pas s’ourdir en indicibilité. Les intervenant·e·s se succédaient à l’antenne bienveillante de Radio Pandémik pour rappeler au monde qu’il n’y avait pas que des soignants et des militaires sur le qui-vive : les citoyens sans-papiers s’organisaient, des collectes et distributions de nourriture continuaient de sustenter les sans-abris et les pauvres, on ouvrait des squats, on incitait haut en couleurs les murs à parler franc – « COVID-19 faisons payer les riches ! » ; entre deux piqûres de réalité, la musique entraînante, débordante de vie, rageuse et défiante, dansante et jubilatoire, contribuait à détendre les nuques, les fronts, les zygomatiques, et redonner du souffle et de l’ardeur aux audit·eur·rice·s rassemblé·e·s comme aux temps révolus de la Résistance par leur écoute commune de la parole libérée et combative face au fatalisme de la défaite préemptée.

Radio Pandémik avait surgi comme une éruption volcanique, d’abord soudaine et chaotique, puis canalisée par la gravité, ouverte à l’intégration des matières et des corps étrangers. Chacun·e chez soi, inséparé·e·s malgré les injonctions contraires, l’organisation jaillissait avec la fougue d’une source ou d’un geyser, une émission par jour, entrevues, sélection musicale, montage et diffusion se suivaient avec une verve et un professionnalisme étonnants ; soudain, face au morbide et au mortifère, une vitalité insoupçonnée faisait face, avec une fluidité remarquable. Les moyens mis en place lors de ce confinement tiennent debout.

Bien sûr Pandémik n’était pas la seule émission, ni Radio Panik la seule radio, active pendant le confinement. Sur ∏-Node on pouvait trouver sans interruption des programmes en provenance de Mulhouse et d’ailleurs, retransmettant sur l’Internet des émissions militantes de radios locales diffusées en modulation de fréquences sur la bande dite des « radios libres » aujourd’hui principalement couverte par de la propagande commerciale, presque entièrement colonisée par le dispositif de normalisation sociale… Mais sur ∏-Node, rien n’arrêtait la parole libérée, malgré parfois une sorte d’autocensure révélant l’angoisse ambiante du bruit et des mots d’ordres, contradictoires, anxiogènes, qui faisait parfois vriller les oreilles ; cependant les audit·eur·rice·s pouvaient échanger durant les émissions entre elleux et avec les émett·eur·rice.s…

L’Acentrale est un collectif réunissant des radios et webradios qui participent à la grève. Née dans l’élan du 5 décembre 2019, elle fonctionne comme une plateforme de radio mutualisée dédiée aux voix du mouvement social en France. Le réseau diffusait également sur ∏-Node, dans une reconnaissance des moyens de résistance radiophonique commune qui se poursuit encore : on y retrouve par exemple des retransmissions de la Semaine Intergalactique de la ZAD sur les espaces de résistance autour du monde, ou les Rencontres de la Pommerie pour penser les matériaux pour des Écoles de la Terre, autour de la recomposition des forces politiques « écologiques » à l’aune de « l’impossible arrêt de l’économie » dont nous avons pourtant été témoins, victimes ou bénéficiaires – souvent un peu des trois…

La radio nous a offert et nous ouvre encore des possibilités de résistance organisée malgré les conditions d’incarcération (au quotidien pour les prisonniers, ou « exceptionnelle » pour nous autres nouveaux adeptes de la « distanciation sociale » ou plutôt d’une distanciation du capital – ou peut-être – est-ce en débat ? – une distanciation capitale.) La radio est un espace ouvert sur le monde, et avec l’Internet, à double sens : on s’y croise en présence ou en écoute, on s’y parle, on s’y construit ou reconstruit des espaces sonores bien sûrs, solidaires aussi. La radio ainsi conçue offre un inspace de transistance propice à la diversité des paroles divergentes et à la ronde des gestes invisibilisés dont la présence devient tangible, solide comme les cordes vocales de tou·te·s les animat·eur·rice·s, radiophonistes, radio-émetteurs ou amat·eur·rice·s, professionnel·le·s, novices ou profanes qui ont rejoint le flot des ondes ainsi libérées… et des voix nombreuses qui refusent toujours de se taire.

» Charité bien ordonnée ?