Récit 5'' Des Sabots

sachant que j’aurai pas internet pendant deux/trois jours, voici quasi tout ce que j’ai écrit jusque là:

Le mur devant moi était couvert des derniers nouveaux essais couleur d’affiches A4 parmi lesquels nous devions en retenir deux qui nous convenaient en AG. Ce choix d’ensembles de couleurs était destiné à devenir notre signature en quelque sorte, quand nous passerons des flyers d’information dans la rue ou posterons des infographies sur internet, quand nous ferons des collages, ou des grafs sur les murs des institutions ou que nous troquerons les affiches publicitaires polluant l’espace public contre les nôtres, plus reposantes car destinées à ne rien vendre… Enfin, le coup des affiches publicitaires, ce serait le rêve mais on avait pas les moyens pour imprimer à cette taille pour le moment et… Bref, ce serait des illustrations de nos collaborateurices, des artistes à qui la société contemporaine n’avait pas jugé bon de donner une moindre chance, ne la méritant même pas selon certains critères dérisoires. J’avais choisi d’imprimer à titre de design d’exemple des silhouettes de trois personnes prenant la pose en habits de laboratoire sur fond de molécules hormonales colorées avec des addresses de sites renvoyant aux listings de leurs sellers sur le marché gris, listings incrustés dans les atomes de leurs molécules correspondantes ; un autre texte, visible celui-ci, faisait la liste d’assos et de points de collecte avec des appels à dons et à la solidarité. On était en banlieue à Paris et la France avait connu un énième shortage d’hormones dans les pharmacies, la solidarité individuelle ne pouvait plus suivre les besoins de nos commus, surtout si on voulait un petit stock pour quelques mois.

Le burner du squat atelier transfem sonna une notification, je regardais le message puis j’appelais et tombais sur une voix surexcitée.

« - Bee, c’est toi?» J’ai à peine le temps de souffler un oui qu’un flot de paroles se déverse. C’était June, qui avait laissé le message. « Écoute, j’ai profité des JEP à fond, là et tu vas jamais y croire: y’a un musée que je connaissais pas, un musée de l’Imprimerie Nationale. Quand j’ai vu la façade riquiqui, je pensais que ce serait juste un tit musée, avec quelques machines fonctionnelles, des plaques d’anciens billets de banque, d’autres plaques d’impression d’anciens certificats, des polices typographiques en plomb, d’autres machines plus vielles pas en état et tout mais non! La partie normalement fermée au public était ouverte pour les JEP et le musée continue carrément d’imprimer pleins de trucs en fait, notamment lors des élections locales, et le journal parlementaire. Y paraît qu’il y a d’autres machines désassemblées dans leur stock aussi mais j’ai pas pu aller voir. Y’a pleins de papiers de toutes sortes, ça t’aurait plu! Et les vieilles machines sont toujours fonctionnelles, on a eu droit à des démos. Enfin, je me disais, il y aurait peut être moyen d’occuper les lieux mais faudrait qu’on soit en grand nombre. Tu connais les réseaux plus que moi, tu crois qu’on pourrait rameuter du monde pour?

-Ah, là, tu te goures ma belle, s’pas moi mais Kay qui connaît vraiment beaucoup de monde, moi j’ai juste quelques contacts ici et là, et encore.

-Et puis en regardant les photos d’époque, je me suis rendue compte qu’y’avait une partie de l’entrepôt qui était souterraine avant, semi-souterraine maintenant, pour éviter que l’humidité ne détériore le matos et le papier et l’encre, mais qui a surtout été surélevée pour parer les risques d’inondations et une employée m’a dit que cette section avait des tunnels de services qui rejoindraient les catacombes, selon un ancien gardien qu’elle connaissait, mais bien sûr, ça a été emmuré.

-Là, tu me fais penser à un truc, mais faut que je vérifie avec des potes. Soit je te rappelle, soit on en discute ce soir ou cette semaine, okay?»

J’avais pensé à deux trucs en fait: 1) vérifier l’adresse pour savoir où le musée se situait exactement et s’il y avait bel et bien des catacombes dessous en vérifiant des plans, 2) appeler des potes qui bossaient dans l’édition et l’imprimerie, voir si on pouvait se servir des machines en occupant les lieux, les vieilles comme les plus récentes, ou alternativement apprendre sur le tas, mais aussi éventuellement contacter des ingénieurs ou autres pour voir si y’avait moyens de relocaliser et d’assembler les machines désassemblées. Si on le peut, autant disséminer des machines dans plusieurs endroits, que ça soit des squats ou des ateliers amis, quitte à prendre du papier et de l’encre des grosses boîtes.

Bon, j’allais devoir demander à des potes…

«Fi? ouais, c’est Bea… tu sais, ce mec dont tu m’avais parlé qui bricole toutes sortes de vieilles machines, t’as ses infos? Nan, c’est pas pour ça, on va peut être récup’ des machines pour l’atelier mais elles seront en pièces détachées et on aimerait savoir ce qu’on peut en tirer. Ouais, attends, je note. Nan, nan, t’inquiète, pas besoin de faire les prés, sauf si tu veux en être. Si tu dis qu’il est réglo, on lui demandera de venir direct.»

«Yo luv’, ça va? Listen, on va peut être tenter une opé et faudra du monde, est-ce que tu connais du monde qui pourrait se bouger pour un truc autour des livres ou des journaux ou des zines? Ah, oui, c’est vrai il y a les biblis autogérées en squats queer! Et puis, faut que je joignes Wymillah, tu te souviens de son numéro? Ouais, la drag queen qu’on a vu deux trois fois qui performait en tandem avec un drag king, là, chez Mounty… Elles étaient colocs? Ah, nickel! Noté, merci, à plus!»

«Comment ça, Wymillah n’habite plus avec toi…? Merde, merde! mais attends, elle est dans un foyer pour meufs, au moins? Ouf, je vois, bien! Non, c’est rien, laisse je voulais avoir des infos sur les catacombes, comme je trouve pas de cartes suffisamment précises sur internet et que je me souviens qu’elle était passionnée par ça! Elle avait rejoint un groupe de witchs queer qui faisaient leurs rituels dans les catacombes? What, les catacutes, c’est bien ça? Trop la honte, ce nom, mdr! M’enfin je verrai s’iels ont des cartes ou… Ouais, pourquoi pas leur demander carrément s’iels accepteraient de nous guider, ce serait le top!»

«Helloo there, how ya doing, Roy? Y’aurait moyen d’avoir ton chéri? Et toi, ça va? Nah, le petit dernier s’en sort bien, juste un peu trop minet pour le rôle, quoi. Oh, ça, c’est parce que je crois qu’ael avait plus d’infos sur un collectif de nanas trans, mais j’arrive plus à le trouver et il semble qu’il se soit dissout. Yep, j’ai le temps!Je suis toujours là. Oui, Hilgur… C’est ça, un collectif qui voulait faire bouger les choses dans l’édition! C’était que des meufs racisées qui écrivaient en plus? cool! Oh, nice name! So, any way to contact them? Nah, t’en fais pas! Bon, bon, si tu veux! On l’invite où du coup?»

«Allez quoi, une cathédrale souterraine, vous me faîtes marcher les filles, nah? Nan, nan, j’ai pas dit ça… Bon, vous voulez des trucs en échange? Parce que là, j’en ai parlé à Kay, une pote qui connaît du monde, et y’a moyen de rameuter! Si on arrive à rester, on a peut être une chance de vous tirer de vrais plans, sur des calques et tout! No joke, girl!»

Et yup, des semaines après, puis des mois, et on y est toujours. On a réussi à occuper les lieux, grâce à la participation des habitant·e·s localaux et des banlieues et de certain·e·s employé·e·s et ex-employé·e·s du musée…

On a formé un collectif anti-presse avec beaucoup de personnes qui veulent écrire mais n’en ont pas les moyens. Que des personnes marginalisées, genre, sans emploi, sdf, trans, immigrées, queers, sans papiers, handies, racisées, bref. Avec priorité aux personnes cumulant les marginalisations, dont surtout des tds trans. Et on a aussi contacté les réseaux de soutien aux personnes incarcérées et psychiatrisées mais là, c’est plus lent, la prise de contacts avec des personnes emprisonnées par l’état se faisant à la vitesse d’escargot à cause de l’administration, qui veut pas connaître d’autres révoltes et déboires médiatiques. Et nous, on imprime, on met en forme, on aide, on propose des solutions côté graphique, design et typographique. On laisse le soin d’éditer les textes à une autre partie du collectif avec derrière l’ancien collectif de meufs trans racisées, accompagnées de nouvelles têtes, qui s’est reconstitué en un syndicat d’entraide d’écrivaines et d’éditrices pouvant maintenant faire pression sur les autres syndicats d’auteurices, plus blancs. Et on est en train de voir pour former un réseau anti-presse, avec d’autres lieux, d’autres formes d’ateliers.

On a aussi imprimé des tracts à tout va, des textes militants, des virulents et d’autres moins virulents. On a fait appel à des traducteurices pour la plupart des textes et on s’est posé la question de savoir quelques textes traduire depuis l’étranger également, car le contexte peut être assez différent.

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