SPECULACTIVISME

Hello !
Pour ce THX 2022 je viens avec des envies spéculatives.
Je viendrais d’abord terminer un texte théorique : “Spéculactivisme - Sortir du réalisme capitaliste par la fiction spéculative” pour la revue au nom plus que gênant “Culture et Démocratie”, mais au contenue plus que stimulant. Comme son sous-titre l’indique, l’idée de ce texte est de mettre en évidence le pouvoir de la fiction pour sortir du “réalisme capitaliste”. Après un rapide aperçu de pratique activiste de spéculation (Bâtir aussi ; les enfants du compost ; anomalie sorcière ; certain texte de zanzibar ; subtil béton? ; … ), j’essaie de proposer les conditions à établir pour qu’une fiction spéculative nous permette de sortir du réalisme capitaliste (conscientisation de la fiction comme pratique activiste ; un contenu proche de la vie quotidienne ; utopie ambiguë et pas des dystopies ni des utopies naïves ; bifurcation endogène ; des fictions de panier et pas de lance ; des néologismes ; un soutien à une réappropriation collective).
Je trépigne d’impatience de pouvoir discuter de ce texte avec vous !
Mais mon intention première pour cette résidence, c’est d’écrire/co-écrire un texte alimentant les “Anomalies sorcière” de notre collectif Désorceler la Fiance. Le scénario que je propose de développer, directement inspiré par le texte “spéculactivisme”, est celui d’une bifurcation vers un futur post-capitaliste grâce à un épisode de spéculation généralisé : une prise de conscience mondiale du pouvoir du récit, d’innombrables personnes se mettent à créer des fictions post-capitalistes dans le but qu’elles s’autoréalises. Ce scénario de métaspéculation me grise totalement, j’espère qu’il vous fera le même effet :slight_smile:
à vite !

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Oui j’aime le scénario, nous parlions aujourd’hui des possibilités actives des espaces de rêves et autres espaces vibratoires… Par contre j’essaie d’envisager comment le mettre en scène dans le contexte de ces 10 journées de travail ensemble, est-ce qu’on devrait définir quelques sujets sur lesquels nous souhaitons spéculer pour donner un élan à l’ensemble, ou au contraire se donner des outils pour engager plus large que nous à la spéculation… Ou encore autre chose-

J’aime beaucoup l’idée « d’anomalie » et « d’anomalie sorcière ». En revanche je trouve l’idée (marxiste) d’une masse critique partant de la fiction pour influencer la réalité contraire à notre approche. Je vois bien d’où tu viens avec ce mouvement d’universitaire qui usent de la fiction spéculative pour parler d’un autre monde (Haraway, Despret…) Cependant j’ai l’impression que ce sont des « escapists » qui, depuis leur position privilégiée au sein de l’université, envisagent un monde autre ; alors que notre démarche est bien de partir du réel, de l’ordinaire, et d’en faire quelque chose d’extraordinaire, propre à scinder le capitalisme comme l’eau scinde la pierre. En ce sens je trouve qu’il s’agit plus d’aborder le problème de l’autre côté, depuis le rituel, pour appeler les énergies existantes et de les sublimer—user des mots pour diffracter les actes. Je me sens plus proche des coupe-boulons de Lë Agary que du poulpe de Vincianne Despret, bien que j’ai trouvé la lecture d’Habite en Oiseau et d’Autobiographie d’un Poulpe palpitantes.

Depuis plusieurs mois j’essaie de faire le point sur ce qui cloche dans ces approches de la fiction spéculative pour moi et c’est bien cela. Depuis une perspective matérialiste acceptant une structure unique de l’univers, ce sont les processus, les opérations comme dit Simondon, qui font la différence. Mais pas seulement : ancrer les récits dans le réel, c’est aussi ne pas s’en échapper, ne pas laisser ce terrain à l’ennemi : l’occuper, ici et maintenant pour démontrer qu’il existe bien un monde post-capitaliste dans les interstices de la dévastation hégémonique.

En fait, qu’on se comprenne bien, j’essaie de répondre à cette proposition à laquelle j’adhère presque totalement—si ce n’est que pour moi, « sortir du réalisme capitaliste » c’est remarquer qu’il existe en même temps d’autres réalités incompatibles, et que ce sont ces réalités-là qu’on veut intégrer : des alternatives, des rituels, du temps commun, des rêves qui nourrissent la petite et réduisent le géant non pas à l’incapacité mais au grotesque qu’il est—invisibiliser l’énorme et rendre hommage à se qui se déploie dans son ombre.

C’est exactement où je veux en venir. Quand le chaman Ailton Krenak nous conseille de continuer de raconter des histoires pour retarder la fin du monde, c’est bien de rêve dont il parle. J’ai compris ça grâce au livre “Voyager dans l’invisible - technique chamanique de l’imagination” de Stepanoff, où il développe l’idée (basée sur le travaux de Leroi-gourhan) que nous avons un rapport hiérarchique dans notre écologie de l’imagination (une poignée de créateur de récit et une masse de consommateur avec une marge d’interprétation personnelle très réduite), alors qu’il existe (de moins en moins) des formes hétérarchiques d’écologie de l’imagination dans certaine forme ancienne de chamanisme. Voyager dans l’invisible, c’est imaginer/rêver des récits sans support (image, écrit, oralité) nous guidant, ce que nous ne savons plus faire. Dans ce scénario de spéculation générale, il pourrait y avoir la réapparition de ces techniques de l’imagination.

Pour le moment, pour “anomalie sorcière” avec dlf on a travaillé ainsi : chacun·e développe un sujet/ un scénario (enquêtant sur la bifurcation à l’origine de la fin du capitalisme tardif), puis on discute de nos univers, s’inspirant les un·e les autres dans notre processus d’écriture. Ainsi émerge des mondes pluriels, avec certaines bases communes, structurant nos différents scénarios. D’ici novembre prochain, comme les labo-fiction de l’antémonde, nous allons développer une pratique d’atelier d’écriture collective, mais c’est pas pour tout de suite…
Si nous voulons faire ces ateliers, c’est justement car je suis convaincu qu’une réapproriation collective d’un récit est cruciale ! C’est bien pour celà que je suis très critique envers les chercheur·euse de la fabulation spéculative, car mise à part une promesse (non tenue) de haraway dans une note de bas de page dans vivre avec le trouble, de créer une plateforme d’écriture collective pour les histoire des enfant du compost, leurs fictions restent bien au chaud dans leur cercle élitistes et bourgeois, genre les colloque de cerisy. et ça me dégoute !

Dans qlq jours, notre article “Sorcellerie spéculative - Une auto-anthropologie de pratiques rituelles activistes et artistiques” va sortir dans la revue proteus. Ce dernier traite justement de l’ancrage des récits dans le réel. La sorcellerie, qui à pour particularité de mettre en scène des gestes et des discours qui sont à la fois fiction et réalité, permet d’ancrer nos récits dans le réel, en les activants dans le présent. Avec cette mise en garde:

“Le capitalisme a le monopole de l’avenir, ce qui nous permet de proposer d’autres mondes, mais difficilement de les engager car ils sont restreints à n’être que pure spéculation. Lutter avec des récits ne suffit pas, il faut les activer dans le présent, car les circonscrire à un état fictionnel c’est faire le jeu des alternatives infernales du capitalisme comme système sorcier, qui nous impose ses récits comme seuls possibles.”
Nous ne sommes pas naïf, les fictions (et les rituels!) sont des outils stimulant, mais loin d’être suffisant pour renverser le capitalisme. C’est exactement pour cette raison que je m’éloigne de plus en plus de l’université et du monde l’art pour m’engager de plus en plus dans des luttes privilégiant l’action directe. Je suis plus pour créer des récits en coupant des boulons que fabulateur sympojsaisplusquoi.