C’est exactement où je veux en venir. Quand le chaman Ailton Krenak nous conseille de continuer de raconter des histoires pour retarder la fin du monde, c’est bien de rêve dont il parle. J’ai compris ça grâce au livre “Voyager dans l’invisible - technique chamanique de l’imagination” de Stepanoff, où il développe l’idée (basée sur le travaux de Leroi-gourhan) que nous avons un rapport hiérarchique dans notre écologie de l’imagination (une poignée de créateur de récit et une masse de consommateur avec une marge d’interprétation personnelle très réduite), alors qu’il existe (de moins en moins) des formes hétérarchiques d’écologie de l’imagination dans certaine forme ancienne de chamanisme. Voyager dans l’invisible, c’est imaginer/rêver des récits sans support (image, écrit, oralité) nous guidant, ce que nous ne savons plus faire. Dans ce scénario de spéculation générale, il pourrait y avoir la réapparition de ces techniques de l’imagination.
Pour le moment, pour “anomalie sorcière” avec dlf on a travaillé ainsi : chacun·e développe un sujet/ un scénario (enquêtant sur la bifurcation à l’origine de la fin du capitalisme tardif), puis on discute de nos univers, s’inspirant les un·e les autres dans notre processus d’écriture. Ainsi émerge des mondes pluriels, avec certaines bases communes, structurant nos différents scénarios. D’ici novembre prochain, comme les labo-fiction de l’antémonde, nous allons développer une pratique d’atelier d’écriture collective, mais c’est pas pour tout de suite…
Si nous voulons faire ces ateliers, c’est justement car je suis convaincu qu’une réapproriation collective d’un récit est cruciale ! C’est bien pour celà que je suis très critique envers les chercheur·euse de la fabulation spéculative, car mise à part une promesse (non tenue) de haraway dans une note de bas de page dans vivre avec le trouble, de créer une plateforme d’écriture collective pour les histoire des enfant du compost, leurs fictions restent bien au chaud dans leur cercle élitistes et bourgeois, genre les colloque de cerisy. et ça me dégoute !
Dans qlq jours, notre article “Sorcellerie spéculative - Une auto-anthropologie de pratiques rituelles activistes et artistiques” va sortir dans la revue proteus. Ce dernier traite justement de l’ancrage des récits dans le réel. La sorcellerie, qui à pour particularité de mettre en scène des gestes et des discours qui sont à la fois fiction et réalité, permet d’ancrer nos récits dans le réel, en les activants dans le présent. Avec cette mise en garde:
“Le capitalisme a le monopole de l’avenir, ce qui nous permet de proposer d’autres mondes, mais difficilement de les engager car ils sont restreints à n’être que pure spéculation. Lutter avec des récits ne suffit pas, il faut les activer dans le présent, car les circonscrire à un état fictionnel c’est faire le jeu des alternatives infernales du capitalisme comme système sorcier, qui nous impose ses récits comme seuls possibles.”
Nous ne sommes pas naïf, les fictions (et les rituels!) sont des outils stimulant, mais loin d’être suffisant pour renverser le capitalisme. C’est exactement pour cette raison que je m’éloigne de plus en plus de l’université et du monde l’art pour m’engager de plus en plus dans des luttes privilégiant l’action directe. Je suis plus pour créer des récits en coupant des boulons que fabulateur sympojsaisplusquoi.