L'inspace ou le retournement des visibilités

« Prendre Soin

Territoire aux Histoires .Xist.antes. Effraction fictionnelle expérimentale. Fronderie de fiction et fonderie de frictions.

Ordinairement, nous traversons une période mais, lorsque la propagande s’emmêle, comme lors de ce Printemps Carcéral : c’est la période qui nous traverse. Afin qu’elle ne nous renverse pas, nous pouvons pratiquer le retournement – un outil simple pour délier les langues et relier les angles, à théoriser singulièrement et à pratiquer irrégulièrement.

L’inspace

Si l’espace concerne la conquête extra-atmosphérique, l’inspace concerne la vie sous – ou au sein de (notre) – atmosphère (planétaire / terrestre—océanique). La notion d’inspace permet d’envisager l’espace commun formé par cette zone accueillante de vie, notre vaisseau spatial Terre, unique et inégalé – d’aussi loin que nous puissions observer—atteindre depuis une position d’habitante.

L’inspace est à l’espace ce que l’eau est au corps.

Inspace Espace
Sur Terre—En soi—Être avec Hors de l’atmosphère terrestre
On respire Il n’y a pas d’air
On y mange : cela nous nourrit On doit apporter sa propre nourriture
On y vit On n’y vit pas
On est concerné Cela ne nous concerne pas (ou très peu, ou secondairement)
On y participe On l’observe de loin
On n’y comprend pas grand chose       On n’y comprend rien non plus
On doit le partager C’est si vaste et vide et lointain que franchement, on s’en fout
Cela appartient à tout le monde Cela n’appartient à personne
On peut y danser N’y a-t-il donc personne ?
Être avec Sans être

L’inspace participe d’un cosmos holographique : chaque fragment y porte le tout, tout est un, opaque ou translucide et pourrait-on dire—opaque et translucide. Car les lumières aveuglantes portent des ombres et c’est à l’ombre de leur arrogance que les lucidités naissent et se meuvent dans l’assurance mutuelle d’une totalité à jamais unique et fragmentée. C’est sur ce fragment-Terre qu’évolue, impatient, un sujet éternel faisant corps avec – en discontinuité – les multitudes de fragments tout aussi vides et pleins et auto-réflexifs qui traversent les âges ou que traversent les présages, conversent les sages et
conservent les passages.

Et si en un retournement soudain on arrêtait que, sous couvert de toute découverte ultérieure qui en infirmerait les accords, l’espace pouvait être dansé à défaut d’être dense ? Si ce vaste vide et lointain n’était en fait qu’un prolongement de l’inspace dont on ne pourrait voir que les contours les plus massifs comme on ne peut voir son dos qu’avec ses mains ? Plus on l’observe, plus il s’étend jusqu’aux confins d’une infini qui nous renvoie l’écho difforme d’avant – c’est-à-dire un reflux d’amont, le souvenir convenu d’un passé si ténu qu’on n’en aperçoit qu’un fond diffus, et au fond, ce fond, qu’on observe de loin, auquel on n’y comprend rien – ou pas grand chose – et qui n’appartient à personne : on s’en fout.

Si le fond diffus fait corps, en accord avec l’inspace fragment-Terre, alors nous avons ici et maintenant des respirants, inspirant et expirant, tour à tour, dans le ballet (potentiellement) infini des naissances, des absences, des circonstances, des inconstances et des morts, enfin, qui ne débutent ou ne continuent qu’une chaîne indéterminée de solidarités étranges et étrangères. « C’est ta grand-mère, que tu n’as pas connue, qui a tissé ce linge » ; « c’est ton grand-père, dont tu as vu le portrait, dont ton oncle t’a parlé, et que tu n’as pas connu, qui a chassé ce singe ou bien chaussé ce signe » – qui sait ? La solidarité entre morts et vivants passe, comme pour celle entre « adultes » et « enfants » par la reconnaissance d’un fragment synchronique de soi à soi : elleux aussi furent vivants, elleux aussi furent enfants – c’est pourtant dur à croire – et ce, donc, pour tendre à croître.

Par tant d’accroître, nous voici ainsi aux frontières de l’absence. Les regards mornes, les souffles courts, éreintés, cheveux hirsutes et poils vigoureux dressés sur des dos frissonnants, montés sur des jambes flageolantes, ongles rebelles sur poings serrés comme les cœurs, les ventres noués, les nez masqués, les sourires invisibilisés, les oreilles à l’affût d’un affreux toujours plus proche, toujours plus menaçant, plus proche, si proche, toujours présent. Aux frontières de l’absence, la présence est au plus haut telle la tension de surface d’une baudruche avant qu’elle n’explose, disparaissant, laissant libre ou suffocant l’instant d’avant, celui où l’espoir, encore, existait, suspendu à un film pour l’internité.

Sache, petit cœur, que nous n’irons pas plus loin : dans l’inspace les lignes de fuite se confondent avec les prises de position. On peut bien se regarder en face qu’on se tourne le dos. Mais la fuite a bon dos et – où cours-tu ? – tu fais du sur-place en échappant au soleil, tu piétines ton ombre mais c’est la Terre, ce fragment-Terre, qui tourne sous toi, sans toi, en toute gravité.

Naître, connaître, reconnaître : une répétition solidaire de la « venue au monde » ; l’existence évoque avec insistance la consistance de la résistance : répétition solitaire d’une « déconvenue du monde » ; les révoltes passent et la révolution trépasse. Soudain, rien.

Soudain, quelque chose.

On peut bien tendre un fil entre deux poings, leur frappe ne sera jamais continue même si, avec de l’entraînement, elle peut être contenue. L’onde de choc, elle, traverse ininterrompue les parlêtres, pénétrant l’illusion des murs, l’illusion des étages, l’illusion des distances, comme les fables de la chute des corps dans le vide : tout l’espace est uniforme, la pensée l’est aussi – ou bien ne l’est-elle pas ? L’État d’Urgence(s) commet l’erreur fractale d’une asymétrie prônant une solidarité sans faille – qui nécessite donc une égalité sans faille, mais sur base d’une domination sans faille. Et les failles, c’est l’endroit par lequel passe la respiration : onde chic de chaque moment qui, continue, diffuse les ondes de chocs – qui tendent à l’interrompre. Oppresseur, suspends ton viol ! Car seule la continuité du souffle peut contre l’envahisseur soulager les diaphragmes – où l’on comprend à présent aisément combien la séparation et la clôture peuvent assurer la fluidité : dans l’inspace, l’unité requiert la diversité.

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